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Le vendredi 24 avril 2020 a été le premier jour du mois de Ramadan pour les musulmans du monde entier. Cette année, le Ramadan tombe en pleine période de crise de Covid-19. Dans le contexte particulier de la crise sanitaire, la plupart des pays ont décrété le confinement. Pour freiner la propagation du virus, nous devions rester chez nous et appliquer les gestes barrière. Les rassemblements de plusieurs personnes étant interdits aussi, ce qui a engendré la fermeture des lieux de culte dont les mosquées en ce qui concerne les musulmans. Aussi, les restaurants et tous les commerces considérés comme non essentiels à la vie quotidienne ont été fermés jusqu'à nouvel ordre.

Face à ces mesures exceptionnelles, comment vivre le Ramadan sans pouvoir partager les iftars (repas de rupture du jeûne) avec d'autres membres de sa famille ou avec des amis ? Comment imaginer le Ramadan sans les prières en groupe et sans les tarawih en raison des mosquées fermées ?

Pour vous, Muslim Expat a interrogé des membres du site venant des quatre coins du monde...

Comment les musulmans envisagent-ils le mois de Ramadan en pleine épidémie de Coronavirus ?

On se dit souvent qu'à l'approche du mois de Ramadan, on doit se préparer psychologiquement, être prêt à multiplier les adorations, être disponible pour aider les jeûneurs dans le besoin ou fréquenter la mosquée le plus possible, etc. En cette pandémie, le Ramadan s'avère différent de tous ceux que l'on a connu auparavant. Comment les musulmans se préparent-ils à jeûner pendant le confinement ?

Gani, 37 ans, originaire de région parisienne et chauffeur de taxi à Ottawa (Canada), nous confie : "C'est la première fois qu’on s'apprête à vivre le Ramadan dans ces conditions... on va faire avec ! Le fait de ne pas pouvoir aller à la mosquée et le fait de ne pas pouvoir se rencontrer pour partager, tout cela va nous manquer, mais il faudra le vivre autrement avec plus de temps pour la lecture du Coran, plus de temps pour les rappels. Oui, on va s’adapter incha'Allah."

En effet, Gani nous souligne la différence de suivre le Ramadan à la maison et celle de suivre le Ramadan comme à l'accoutumée. Malgré tout, quand on a la possibilité de jeûner, il faut s'estimer heureux car d'autres n'en ont pas la capacité. "Nous allons effectivement vivre le mois de Ramadan 2020 d'une manière assez particulière. Grâce à Dieu, j'ai la chance de pouvoir jeûner et d'être en bonne santé contrairement à ceux et celles atteints par le virus donc il faut voir le côté positif" relativise Rachid, 36 ans, cadre dans une banque au Luxembourg."

La situation peut aussi laisser place à certaines appréhensions. Face à l'inconnu, nous avons souvent ce sentiment de peur. "Arrivée au Maroc depuis peu, lorsque la crise sanitaire a commencé, j’ai paniqué du fait de ne pas être dans mon pays natal : la France..." nous explique Siham, entrepreneuse de 38 ans vivant seule avec son fils à Marrakech. Heureusement pour elle, ses peurs n'ont pas duré au vu de la très bonne gestion de crise du Maroc. "Très rapidement, je me suis inscrite sur différents groupes de réseaux sociaux marocains pour suivre le fonctionnement local et j’ai découvert l’ampleur de la solidarité mise en place par les citoyens marocains... ici c’est d’abord l’humain !"

Pour Yassine, 24 ans, ingénieur à Taipei, le discours est plus pragmatique. "C'est notre premier Ramadan loin de la France et en cette période assez spéciale, nous avons la chance d'être à Taïwan où la crise à été gérée de façon exemplaire. Un des pays les plus safe au monde, comptabilisant seulement 422 cas et 6 morts au 21 avril 2020. Ça peut paraître invraisemblable surtout que Taïwan est très proche de la Chine, mais avec un Vice Président épidémiologiste et le SRAS des années 2000 comme référence, le pays a pris des mesures immédiatement. Gel hydroalcoolique à disposition partout et gratuitement, contrôle de température et port du masque obligatoire dans les transports en commun et aussi certains lieux publics, quarantaine de 14 jours pour toutes personnes venant de l'étranger et tracking grâce au téléphone. Si la personne ne respecte pas sa quarantaine, elle écope aussitôt d'une amende de 1 million de NT$ (33 000€) et si une personne ne porte pas de masque dans les transports en commun c'est 15000 NT$ d'amende (500€)."

Autre parallèle sur la question de la gestion de la crise sanitaire dans d'autres pays : "Je suis française, expatriée pour une entreprise internationale aux Pays-Bas et je vis en Belgique. Les deux pays ont une politique de confinement différente bien que proches géographiquement. Tandis qu'en Belgique les mesures sont calquées sur la France, les Pays-Bas eux évoluent un peu au gré du vent en étant partisans de l'immunité collective. Ce confinement à été une amorce à la spiritualité et une préparation au Ramadan, pour autant je me révèle plus productive et créative au travail. Le Covid-19 bouleverse et chamboule les habitudes. Il est donc de notre ressort de savoir rebondir car la confiance en Dieu prime. On s'adapte pour le meilleur..." nous confie Millissa, 34 ans, Project Customer Manager habitant à Liège, débordante de sérénité et d'optimisme.

Est-ce que le Coronavirus va impacter les traditions de chacun ?

Suite aux mesures de confinement (qui peuvent être différentes d'un pays à l'autre), les habitudes des musulmans pendant le Ramadan risquent d'être particulièrement chamboulées. Réelles contraintes ou avantages ? Voyons comment chacun compte programmer ses journées durant ce mois sacré.

À Kuala Lumpur, où séjourne Kahina (précédemment à Los Angeles), infirmière de métier, la situation est particulière : "La patience est le mot qui définit notre période actuelle. Je suis infirmière et mon mari coach sportif. Nous avons 2 enfants : une fille de 3 ans et demi et un petit garçon d'1 an. Nous sommes confinés depuis 1 mois à Kuala Lumpur en Malaisie. Le confinement doit se terminer le 28 avril 2020 incha'Allah, il pourrait être prolongé donc pour l'instant nous vivons au jour le jour mais la propagation du virus est en baisse. La Malaisie étant un pays musulman, le Ramadan est un mois très important ici, en cette période de confinement, le pays est donc très solidaire envers sa population. De nombreux centres ont été ouverts pour accueillir les plus démunis, ils bénéficient ainsi d'un toit pour dormir et de la nourriture leur est offerte. La solidarité se fait aussi entre le peuple, par exemple, notre propriétaire a reporté nos mois de loyer jusqu'à la fin du confinement."

Difficile d'être confiné dans un pays qui a pour habitude d'accueillir pleinement ce mois sacré. Mois de partage, mois de retrouvailles compromis, que faire ?
"La période du Ramadan est conviviale, remplie d'amour, de partage et de spiritualité. En ces temps de trouble dûs au Covid-19, les choses ne se dérouleront pas comme les années précédentes. En effet, nous ne partagerons pas de repas avec nos familles et nos amis. Nous ferons la prière de tarawih à domicile car les mosquées sont fermées." nous racontent avec émotion Lina et Abdel, des entrepreneurs bloqués à Dubai.

La fermeture des mosquées actée, beaucoup de musulmans se sont préoccupés de la prière en groupe, notamment celle du vendredi. Comment va-t-on faire si on ne peut pas se réunir en groupe ? La réaction de Rachid face à cette problématique est réaliste et ponctuée d'un zeste de peine. "Les lieux de culte étant fermés, nous n'irons pas prier en groupe, ce qui enlève un peu de charme à la rupture du jeûne. Cela dit beaucoup de mosquées proposent des retransmissions en direct lors de la prière du vendredi et nous espérons qu'il en sera de même pendant le Ramadan."

Du côté de Vientiane au Laos, Bilal, 41 ans et IT Manager nous explique sobrement le Ramadan pendant le confinement. "Les rares sorties sont limitées aux courses uniquement, et les déplacements autorisés pour le travail ne sont que des cas exceptionnels. Nous ferons donc la prière à la maison, il n'y aura pas de visite ou de repas familial. Nous ne savons pas si nous pourrons célébrer la fête de l'Aid qui se passe normalement à la mosquée. Un jour de l’Aid à la maison sera tout de même difficile. Dieu nous éprouve dans cette période troublante, nous devons garder le cap sur ce mois béni qui est de multiplier les adorations et les invocations."

Un rappel à l'essentiel préconisé par Bilal, un rappel partagé par d'autres expatriés. "Plus que jamais ces enseignements font écho aujourd'hui et même si la tentation est grande de revenir dans son pays, de passer ces moments en famille, de jeûner et rompre le jeûne entourés de mets succulents et des siens; nous sommes tenus de respecter ces exigences gouvernementales appuyées par nos enseignements religieux." dit Millissa.

Quant à la fréquentation des mosquées pendant le Ramadan, celles-ci ne pourront pas ouvrir leurs portes pendant le confinement. Et le manque s'en fera ressentir pour ceux qui sont habitués à y aller régulièrement. "Par contre la Grande Mosquée de Taipei est fermée depuis 3 semaines. Nous n'avons pas d'informations pour savoir si elle sera ouverte ou non pour les prières de Tarawih. En tout cas, le coucher du soleil est à 18h20/18h30 donc pour nous ce sera assez facile comparé à la France où la rupture est beaucoup plus tard. Via une page Facebook, la mosquée maintient le lien avec la communauté et annoncera le début du mois de Ramadan ce mercredi soir." d'après Yassine, notre expatrié à Taipei.

Globalement, le Ramadan en confinement est quelque chose d'inédit pour la communauté musulmane. En ce qui concerne le jeûne, les courses et les repas, Irchad, 36 ans, créateur de la chaîne Youtube My Omani Life, nous fait part ce qui se passe à Mascate, dans le Sultanat d'Oman. "Je pense que le Covid-19 va impacter nos habitudes alimentaires car pendant le Ramadan à Mascate, les gens commandent beaucoup dans les restaurants, ils cuisinent donc beaucoup moins à la maison. Cette année avec l'inquiétude et la méfiance, ils vont sûrement faire l'inverse : plus cuisiner et moins commander. Les mosquées étant aussi fermées, les prières, notamment celle du Tarawih ne pourront malheureusement pas se faire en groupe. Autre chose, pendant ce mois de partage, la plupart des travailleurs à bas revenus ont l'habitude d'aller à la mosquée où des repas gratuits sont distribués tous les jours. Je ne sais pas comment ils s'organiseront cette année."

Loin des yeux mais près du coeur, Lina et Abdel n'en oublient pas de rester en contact avec leurs proches. "Cependant, nous ne changerons pas nos habitudes à cause du confinement, nous continuerons à appeler nos proches pour prendre des nouvelles le plus souvent possible."

Le Ramadan et le confinement : une période propice pour prendre du recul en fin de compte

Revenons-en à l'essentiel : le mois de Ramadan est un mois d'adoration pour tout musulman. Malgré les mesures, les mosquées et les restaurants fermés, cette période est le moment idéal pour se concentrer sur sa foi.

D'ailleurs, Rachid le souligne très bien dans son témoignage : "Les musulmans se doivent de montrer l'exemple surtout que la conduite à tenir en période d'isolement sanitaire nous a été enseignée par le Messager de Dieu (saws). Par exemple il nous a appris à ne pas quitter une région touchée par une épidémie. Heureusement que nous avons Internet et il faut reconnaitre que les applications de visioconférence ont un franc succès. L'abstinence, la patience et la solidarité font partie des grands enseignements de ce mois sacré. Nous vivons donc cette situation comme une épreuve pour essayer d’améliorer notre comportement futur"

Avant même la fin du Ramadan et du confinement, nous pouvons déjà en tirer des leçons bénéfiques. "Nous sortirons de cette situation inédite plus forts, plus unis et un peu plus connectés et réformés. Ce mois de Ramadan somme toute singulier mais quand bien même précieux restera émouvant pour nous tous car c'est aussi un rappel que la vie est fragile et qu'il nous faut œuvrer pour le bien tant que l'on peut encore." relate Millissa avec sagesse et espoir.

Le sentiment est partagé à Kuala Lumpur, où Kahina relativise la situation avec les siens. "Nous ne savons pas si les mosquées vont ré-ouvrir donc pour l'instant, nous continuons notre confinement à la maison et même si notre Ramadan sera différent de tous les autres, nous l'acceptons et nous allons le vivre de manière positive. Nous sommes en lieu sûr avec nos enfants en bonne santé, c'est que du bonheur. Nous sommes optimistes et nous nous disons que cette épreuve va bientôt se finir et que nous retrouverons nos familles pour passer encore de meilleurs moments ensemble incha'Allah."

L'optimisme règne dans le coeur des musulmans confinés, cela n'empêche pas le manque des habitudes. Irchad, qui en plus de sa chaîne Youtube est aussi Assistant Manager d'un magasin Zara à Mascate nous dit : "Il est vrai que les moments de partage entre amis et avec la famille vont manquer mais c'est pour la sécurité de tous. Ma joie personnelle est que ça sera mon premier Ramadan dans la sérénité la plus totale car à Mascate le Ramadan est une période très agitée au magasin et nous fermons tous les jours à minuit voire à 1h du matin le week end et la dernière semaine durant le mois de Ramadan."

Au Maroc, le bel exemple raconté par Siham confinée à Marrakech, souligne de l'élan de solidarité dont les gens sont capables durant ce mois béni. "La solidarité dans ce pays m’éblouit et me nourrit d’amour car même si je suis seule avec mon fils et que je ne connais qu’une poignée de personnes, ici on se rend compte qu’on n'est jamais seule et qu’on ne fait qu’un avec le peuple. Le Ramadan va nous plonger dans une entraide encore plus intense, il règne ici un sentiment d’amour où nul ne se sent abandonné... Même si les retrouvailles sont proscrites, le son des adhans, l’appel des mosquées, nous rappelle 5 fois par jour que la religion est sacrée et on se souvient des bienfaits de Dieu. La solidarité et le partage vont s’intensifier..."

Confinés pour la bonne cause, le message de Lina et Abdel nous réchauffe le coeur tant il est rempli d'amour. "Beaucoup de musulmans du monde entier attendent avec impatience ce mois sacré. Avec ce qu'il se passe actuellement, nous pensons que cela nous permettra de mieux nous retrouver nous-mêmes, ensemble et même individuellement. C'est un mois de sacrifice, et le confinement est un sacrifice supplémentaire. Nous souhaitons à tous, un bon Ramadan, que la paix et l'amour soient sur vous."

Des témoignages riches en émotions qui nous rappellent l'essentiel : adorer Dieu en toutes circonstances. Il est vrai que l'épidémie de Covid-19 a bouleversé notre quotidien et qu'il est important pour tous de préserver sa santé et celle des autres en respectant les mesures du gouvernement. Et vous, comment avez-vous vécu le Ramadan pendant le confinement ?